Mercy-le-Haut 1914-1918

Mercy-le-Haut 1914-1918

Les mémoires de guerre d'un soldat de Boudrezy: Jean Collignon

 

On possède les mémoires de guerre de Jean Collignon, habitant Boudrezy, et mobilisé en 1914. Comme la trentaine de soldats mobilisés à Mercy-le-Haut et Boudrezy en août 1914, Jean Collignon a été séparé pendant toute la guerre de sa famille.

 

Bien qu’ayant vécu loin de sa commune, son témoignage fait partie de l’histoire de Mercy-le-Haut et Boudrezy en 1914-1918.

 

Le récit de son parcours pendant la guerre est remarquable : Jean Collignon nous fait vivre ces quatre années de guerre « comme si on y était ».

 

Les mémoires de guerre de Jean Collignon se présentent sous la forme d’un document dactylographié. Ce document a été écrit sous la dictée de Jean Collignon par Marylène Adam, fille de René et Christiane Adam de Boudrezy.

 

C’est un document privé. Il a été donné à la famille Lebrun, probablement par Jean Collignon lui-même, dans les années 50.

 

Ce document est reproduit ci-après, avec l’autorisation de la famille Collignon.

 

Les titres, les remarques écrits en italique, et les illustrations ont été ajoutés par H. Lebrun pour faciliter la lecture.

 

 

Collignon Jean 1915 (2).jpg

Jean COLLIGNON 

 

 

Jean Collignon : mémoires de guerre

 

Début de citation

 

 

              L’enfance

 

 

Je suis né le 7 décembre 1893.

 

Je suis le sixième enfant d’une famille de cultivateurs depuis plusieurs générations. Mon père exploite 60 hectares. Il possède 8 chevaux d’attelage, des poulains, des vaches, des génisses, des taureaux, une douzaine de porcs à l’engrais et des moutons. Les domestiques sont loués à l’année, et les manœuvres à la journée.

 

A 5 ans, je vais à l’école communale de BOUDREZY. A 10 ans, le 10 mars 1903, je vois la ferme brûler toute une nuit. Le spectacle me donne une grande frayeur, et toute ma vie, je prendrai des précautions pour éviter un pareil sinistre. Mon Père reconstruit, et au 1er novembre, la vie reprend à la maison familiale.

 

Le 1er octobre 1904, mon Père me met en pension chez les Frères des écoles pieuses à HACHY (Belgique). C’est dans cette école, en mai 1905, que je fais ma première communion.

 

De 5 ans à 10 ans, chaque jour, je sers la messe à l’Abbé SABOURET, aumônier retraité.

 

Je passe quatre années au pensionnat : 6°, 5°, 4°, 3°. Puis je fais 4 mois à l’école d’agriculture.

 

J’aime les bêtes, la plaine. Durant les grandes vacances, je conduis les vaches au pâturage, attachées à la corde dans les prés et les luzernes. Il n’y a aucun parc, mais mon Père en fait un près du bois de BOUDREZY, avec des poteaux en bois.

 

A 15 ans, un manœuvre journalier, François LAURENT, m’apprend à tenir une charrue, conduire les charriots à 4 chevaux. Mon père me fait conduire la faucheuse aux prés, quatre chevaux à la moissonneuse lieuse, semer les engrais à la main et conduire le semoir à grains.

 

 

              1913-1914 : le service militaire

 

En 1913, on parle de la loi de 3 ans pour les militaires (Note HL : jusqu’en 1912, le service militaire était de 2 ans). La classe 1912 part le 1er Octobre. La classe 1913 passe le conseil de révision fin Octobre à AUDUN-LE-ROMAN.

 

Je demande la cavalerie. Je mesure 1,72 m à la toise et pèse 60 kg : « un grand sec paquet de nerfs ».

 

Le 20 Novembre, je suis appelé au 30° Dragon de SEDAN, régiment disciplinaire. Je n’ai pas voulu marcher contre les grévistes à SAINT-ETIENNE. Tous ceux que j’ai vu et entendu avant mon départ me disent « c’est dur au DRAGON ». (Henri FRANCOIS de CHANOIS, Gaston HENQUINET de JOPPECOURT, Louis LHUILLIER de MERCY-LE-HAUT).

 

En effet, on n’est pas gâté : 8 jours sans café noir : le jus aux anciens. On mange à la gamelle après les peluches de 11 heures. Une louche d’eau chaude, une patate et un bout de gras constituent notre repas.

 

On va manger sur son lit dans la piaule au 1er étage, et on descend laver la gamelle à l’eau froide. Le dimanche matin, on va laver la liquette et le caleçon toujours à l’eau froide, avec un peu de savon. A cinq heures, le soir, c’est du rate bœuf ou des haricots rouges avec du mouton (d’Amérique). Jusqu’à neuf heures, on astique les brides, les selles, les étriers, les sabres, les carabines et les lances.

 

Ensuite, extinction des feux et l’on dort. Défense de se lever avant six heures du matin, heure du réveil.

 

Dès cette heure, le 1er peloton à cheval se retrouve au manège. Mon cheval « FACBRI » (un trotte sec) dérobe à la barre, ce qui fait que ça m’arrive d’aller nager dans la sciure.

 

La première fois, le lieutenant m’a dit en riant : « Collignon, qui est-ce qui vous a donné la permission de descendre ? » Je retrouve mon bourrin dans un coin du manège.

 

Je ne blesse jamais, malgré la voltige, de pied ferme et au galop. J’adore tout cela : debout en croupe, les ciseaux, trop surélevé sans les étriers (comme au Cirque). Quand un copain est déchargé, on rigole. On promène souvent les chevaux sur la route de BALANS.

 

Pansages, gardes d’écuries, balayages des abords de l’abreuvoir, frotter la piaule à la paille de fer, pomper l’eau à la pompe à bras, le parc à fourrage, tous ces ouvrages occupent nos journées. Je rigole de voir des « fils à papa » plier l’échine en portant des balles de 70 kg.

 

Classe à pied, théorie, treillis et bourgerons, culotte de cheval : on se change 4 fois par jour. On grimpe les escaliers ; on n’a pas le temps de s’ennuyer. Les brimades des anciens, le lit en portefeuille, la gamelle d’eau sur la figure en dormant : c’est fréquent. Il faut également se relever pour border le lit à l’ancien lorsqu’il revient d’une sortie en ville.

 

Et malgré cela, on chante en refrain :

 

               Ah, quelle triste vie que celle d’un Dragon
               On y mange trop vite, on n’y boit que de l’eau
               Le cabot de la semaine vous dit : « dépêchez-vous »
               Les forçats de Cayenne sont plus heureux que nous.

 

Puis, je fais le peloton des élèves brigadiers. Je suis exempt de corvée, mais il faut apprendre à commander, faire les classes à pied, les sauts d’obstacle.

 

Il faut appliquer la théorie : garde à vous à cheval, respect et discipline aux Officiers (Adjudant, Lieutenant, Commandant, Colonel, Général de Brigade, de Division, de Corps d’Armée et d’Armée).

 

Uniformes dragons.jpg

Uniformes de Dragons

 

Le 30 juin 1914, on passe l’examen devant le Général DURBAIL. Je sors le deuxième du premier demi-régiment. Le Capitaine me sachant bon cavalier me nomme première classe éclaireur de pointe. Cela me donne un galon et une étoile sur les bras, et 24 heures de permission. Je suis fier.

 

On part en manœuvre au camp de CISSONE, dans la Marne. J’ai un nouveau cheval « AJAX » de couleur baie (un intrépide). La vie est un peu plus belle. Les anciens ne m’inquiètent plus, et je me promets une revanche lorsque je serai brigadier.

 

 

               Août 1914 : la mobilisation, la déclaration de guerre, combats dans les Ardennes belges

 

Le 27 juillet, j’obtiens une permission de moisson de 15 jours. Malheureusement, le 29, je suis rappelé par télégramme. J’arrive au quartier de SEDAN à 3 heures. Le Colonel est au corps de garde. Je me présente « permissionnaire rentrant ». « Très bien » me dit le Colonel DORELIER.

 

Le lendemain, on parle de mobilisation.

 

Le 30, on reprend le travail au manège à 6 heures. A 8 heures, nous avons ordre de rentrer au quartier « Mobilisation Générale ». A 11 heures, le départ est donné, et le régiment traverse la ville de SEDAN. Les femmes d’officiers sont aux fenêtres et pleurent avec leurs jeunes enfants.

 

Nos Officiers nous disent : « Avec les Russes, la guerre sera finie dans trois mois ». On chante par ordre, et on crie « A Berlin ». (Pauvres fous).

 

Nous traversons STENAY. Les artilleurs quittent les casernes pour nous suivre car ils ont des 75 volants et font partie de la division :

-          Deux régiments de Dragons : 28° et 30°
-          Deux régiments de Hussards : 3° et 5° de VERDUN
-          Deux régiments de Cuirassiers : 3° et 8° de STE MENEHOULD et VOUZIERS
-          Un bataillon de Chasseurs cyclistes.

 

Voilà la quatrième division de cavalerie indépendante commandée par le Général ABONNEAU.

 

Enfin, nous arrivons à SAINT-LAURENT, village meusien à 10 km de LONGUYON. Le soir même, je suis de faction, avec quatre cavaliers, faisant fonction de Chef de poste car un Brigadier est resté à SEDAN, et un autre est malade. On couche sur la paille. On est de faction tour à tour au moulin de Sorbey.

 

Le lendemain, 1er Août, c’est la coupe de cheveux rase, et la confession par Monsieur le Curé de St Laurent. On aiguise les lances et les sabres sur les meules des paysans.

 

Cousin Pascal sachant le 30° Dragon à ST LAURENT vint me voir et me donna une saucisse de la part de Cousine Lucie.

 

Le 2 Août, c’est la déclaration de guerre. On parle de remonter sur la frontière belge. Le 4 Août, on quitte Montmédy pour traverser de nuit la forêt des Ardennes. A 3 heures du matin, mon escadron est à NEUFCHATEAU. On patrouille dans les environs, puis on redescend sur ARLON par HABAY LA NEUVE. On va vers HACHY. Je dis au Lieutenant de L’IMPERANIE, un Corse : « Je connais le pays et les environs. J’ai été 4 ans en pension ». Eclaireur de pointe, j’arrive devant la porte cochère du pensionnat. Je donne un coup de lance dans la porte. Le bon vieux frère ASTHIERS ouvre. Je lui dis « Bonjour frère ASTHIERS ». Il me répond « Je ne vous connais pas ». Je saute en bas de mon cheval. J’enlève mon casque et lui dit « Je suis Jean COLLIGNON (1904-1909) ». Il me reconnait « Ah, c’est toi le petit Jean qui a fait sa première communion en 1905 ». Il ajoute « Prens garde, les Allemands sont à VANCE (4 km) ». Je l’embrasse et le remercie. Il a les larmes aux yeux et me dit « je prierai pour toi ».

 

Hachy entrée pensionnat.jpgHachy: entrée du pensionnat

 

Les Allemands n’étaient plus à VANCE. On vadrouille sur BELLEFONTAINE, ETALLE, STOKEM. Le lendemain, on se dirige sur NEUFCHATEAU où se trouve le régiment. Puis, on reprend la route de BASTOGNE où l’on signale l’ennemi.

 

Le 7 Août, on passe à CIBRAY, petit village sur une hauteur. Le Lieutenant me dit « COLLIGNON, attention, l’ennemi n’est pas loin ». Toujours en éclaireur de pointe, j’arrive à la première maison. Je demande à une femme s’il n’y a pas d’Allemands. Elle me répond : « Il y en avait sept tout à l’heure à la gare ». Je rends compte à l’Officier. Celui-ci réfléchit et dit « nous sommes 30, on va les gauler. En avant ».

 

Dragons avec lance.jpgPeloton de Dragons

 

Lances baissées, on arrive près de la gare. Il y avait deux pelotons de Uhlans du 14° bavarois. Le Lieutenant commande : « Chargez ». Les Boches replient sur la grande route de BASTOGNE. J’en descends un, puis un deuxième, à la lance dans le dos (on est fou). DUCHET, mon copain de SENON, en descend un qui me piquait la lance dans la boucle de on ceinturon. Nos chevaux sont plus nerveux que ceux des Allemands ; je tire sur un grand officier qui tire 7 balles de son revolver. La tête de mon cheval, au galop, touche la queue de son cheval. Les balles me sifflent aux oreilles. J’ai le cimier de mon casque traversé. Je le pique sur le côté. Il tombe sur le bord de la route.

 

Finalement, nous sommes reçus par les mitrailleuses allemandes cachées en bordure de la route, dans une pièce de betteraves. Le sous-officier MAGNIEN a été tué ainsi qu’un homme LABARRE – classe 11 - . Le Brigadier BRESVIRONNOT est blessé.

 

Le Lieutenant nous rassemble. J’ai les deux chevaux allemands en laisse. D’autres en ont aussi. Dans les bissacs, sur les selles, ils ont un livre de messe. Les Bavarois sont catholiques, et sur leurs ceinturons, on lit : GOTT MIT UNS – DIEU EST AVEC NOUS. Je dis à l’officier que nous avons été reçus par les mitrailleuses. L’infanterie allemande n’est pas loin. L’Officier va téléphoner à la 4° Division, qui doit être à FLORENVILLE. On lui répond en Allemand. Il sort blanc comme un mort et dit : « nous allons malheureusement être prisonniers. Quel dommage au début de la guerre ». On va se cacher dans un bois à 200 m de la route. Une heure après, l’infanterie allemande passe sur la route, musique en tête, et voit les morts et les blessés restés sur place.

 

Deux jeunes Belges, 16 ou 17 ans, viennent du bois et nous apprennent que les Français à pied viennent d’arriver à BELLEFONTAINE. Le Lieutenant leur demande de nous conduire. Par des sentiers dans la forêt, nous arrivons avant la nuit près de l’infanterie française : le 147. On est sauvé, mais le Lieutenant ne sait pas où se trouve la brigade des Dragons. On la retrouve le lendemain. On n’a rien mangé de la journée. Le choc est terrible. On est sur les nerfs. Le pantalon reste collé à la selle (comprenez si vous voulez). Les jours suivants se passeront sans histoire. On n’est plus dispersé, et c’est un va et vient continu. Le 21 Août, on est dans les Ardennes, au Nord de Charleville. Il arrive du renfort pour mon peloton, et notamment le camarade Louis L’HUILLIER, classe 1909, monté sur un cheval de réquisition. (Note HL : la famille L’Huillier est de Mercy-le-Haut. Voir les chapitres victimes civiles et soldats morts pour la France).

 

Le 22 Août, vers 8 heures du matin, le Capitaine reçoit l’ordre du Général de faire porter un pli cacheté très urgent au Général d’infanterie qui se trouve à la mairie de CHIMAY, sur la frontière belge. Nous sommes à FUMAY. Il y a 18 km à parcourir. Le Lieutenant me désigne pour porter l’ordre de repli à l’infanterie. Je pars au grand trot et galop. J’arrive à la mairie de FUMAY. Un officier me fait entrer près du Général qui me félicite en me disant que j’ai mis 25 minutes pour accomplir ma mission. Mon cheval est blanc d’écume.

 

En sortant de la ville, je vois les soldats de la manutention et reconnaît Jean HENQUINET de JOPPECOURT (sergent). Je lui annonce qu’on replie et lui dis : « tu vas être prisonnier » ; chose qu fut faite quelques heures après.

 

L’artillerie allemande bombarde ma route de retour. Je passe dans les parcs, coupe les fils avec mes cisailles pour ne pas me faire canarder sur la route, où replie déjà une partie de l’infanterie.

 

Puis, c’est la retraite ; et jour et nuit, soutien d’artillerie en avant de nos 75, on fait feu avec nos mousquetons le temps que la batterie de 75 reprend position quelques kilomètres en arrière, et cela jusque MEAUX.

 

 

             Septembre 1914 : la bataille de la Marne

 

Ensuite, c’est la bataille de la Marne. Nous sommes un peu spectateurs. Les Zouaves arrivent de PARIS en taxis, et chargent à la baïonnette les Boches qui se replient sans les marais de ST GOND. Après cette bataille, on nous met au repos derrière REIMS. On en a besoin. Cela fait six semaines que l’on ne s’est pas changé. Chevaux et hommes sont à bout. On se nettoie enfin, et surtout on peut se déchausser et enlever ses bottes. Les officiers couchent avec nous dans les granges.

 

Je me fais couper les cheveux et raser pour la première fois de ma vie par une femme. Son mari est mobilisé.

 

Les avions, assez rares, nous survolent, et on tire dessus à 18 ou 2000 mètres. Quel gâchis la guerre !

 

On séjourne tantôt dans les blés ou dans les pièces de betteraves. Les chevaux en profitent. La nuit, dans les fermes, je donne une bonne musette d’avoine à mon cheval. Le ravitaillement arrive bien. Durant la retraite, on était deux ou trois nuits sans rien. J’ai mangé de la betterave à sucre et des grappes de raisin. Puis, après le soleil ardent de la retraite commence la pluie. On passe une nuit près d’un petit bois de sapins. Je suis, ce soir-là, ce que l’on appelle « garde d’écurie ». Dans un champ de pommes de terre, 12 chevaux sont attachés en rond à l’anneau italien, c’est-à-dire par les étrivières des selles, l’un à l’autre. Je suis au milieu. Il pleut. Je ne fume pas, mais j’ai acheté un briquet et un couteau de poche, il y a huit jours. Je vais chercher deux grosses pierres et avec des petites branches de sapin, j’allume un petit feu devant la tête des chevaux. Je mets des pommes de terre dans la cendre pour les faire cuire. Je ne sais l’heure qu’il est. J’en épluche une avec mon couteau de poche. Tout à coup, malgré la pluie qui tombe, j’entends une voix qui me dit : « garde d’écurie, ouvrez le cercle ». Un officier des Dragons se présente, le capuchon sur le casque. « Pourquoi faites-vous du feu ? » Je lui réponds que j’ai fait cuire quelques pommes de terre. Il m’en demande une. Il l’épluche avec son couteau de poche, la mange, et me dit : « c’est bien, mais éteins ton feu car l’ennemi doit ignorer notre présence ». Je suis étonné. Je le reconnais : c’est le Commandant du demi régiment (DE CHARAUT) qui était de ronde pour surveiller cette nuit-là.

 

On voit la cathédrale de REIMS qui brûle. Cela fait mal au cœur.

 

On va dans les caves de fromages. On prend des bris coupés en quatre pour mettre dans nos bissacs. Les habitants ont abandonné le village. De REIMS, je rapporte des plaques de chocolat que je distribue.

 

Durant la retraite, notre officier de ravitaillement a été fait prisonnier avec les fourgons et les vivres.

 

 

            Octobre 1914 : combats dans les Flandres, bataille de l’Yser, la blessure

 

Le 30 Septembre, on reçoit l’ordre d’embarquer la division :

-          2 régiments de Hussards
-          2 régiments de Dragons
-          2 régiments de Cuirassiers
-          Le 40° d’artillerie batterie volante
-          Les chasseurs cyclistes

 pour aller débarquer à ARRAS, dans le Pas-de-Calais.

 

On débarque au petit jour, et l’on part en patrouille. Il était temps. A peine à quelques kilomètres d’ARRAS, les cavaliers allemands sont là. Et la chevauchée vers la Mer du Nord va commencer. Ce n’est plus de la rigolade : pavés du Nord, pays d’usine – Lens, Courrières, Pont-à-Vendin, Vendry la Vieille, Liévin, Carvin. Là, un matin à 7 heures, le 4 Octobre, j’échappe à la mort.

 

Je suis toujours en éclaireur de pointe, et DUCHET est derrière moi, à 200 mètres. Je reçois l’ordre du Lieutenant d’enfiler le village au grand trot. A la première ferme, j’entends un homme fendre du bois. Je donne un coup de lance dans la porte de grange en demi-lune, et l’homme me dit : « vos amis sont au bout du village ». Je fonce, et à peine à 100 mètres, je reçois une décharge de balles tirées de la fenêtre d’un premier étage. Mon cheval est tué sur le coup d’une balle en pleine tête. Heureusement, il s’abat sous les fenêtres. Je saute dans le jardin situé tout à côté et vais me réfugier derrière une petite meule de foin, ma carabine dans le dos et les cartouches dans les sacs du ceinturon. DUCHET a fait demi-tour et va rendre compte à l’officier : « COLLIGNON est tué et le village est occupé ». J’entends le peloton qui replie sur la route et je suis seul entre la vie et la mort. Un certain temps se passe. J’aperçois assez loin, à l’autre bout du village sur la route, 7 cavaliers allemands qui replient. Finalement tout se calme. Je reviens près de mon pauvre cheval. Je prends du chocolat dans les bissacs de la selle et je retourne me cacher derrière la meule de foin. En voyant mon cheval mort, j’ai les larmes aux yeux. C’est bien mon premier chagrin, ainsi que la mort de mon sous-officier (MAGNIEN) le 7 Août.

 

Puis, j’aperçois au loin dans la plaine un cavalier seul. Je vois le casque et je reconnais que c’est un Dragon. Je cours. Et oui, c’est un brigadier du deuxième escadron qui est blessé au talon. Son cheval a le bas du ventre légèrement perforé. Je monte avec lui sur le cheval que je dirige au pas.

 

Nous retrouvons le régiment assez loin. Je conduis le cheval au Capitaine vétérinaire BRISSI qui est en train de manger. Il me reçoit comme un chien dans un jeu de quilles, alors que j’attendais des remerciements. Je me dis que le Capitaine BRISSI est bien la brute que l’on avait connue à SEDAN. Je vais rejoindre mon peloton, et l’officier m’embrasse ainsi que DUCHET. Pour moi, c’est une compensation.

 

On me donne comme monture un cheval allemand que nous avions ramené de la charge du 7 Août à CIBRAY en Belgique. Mais ce n’est plus mon petit AJAX. C’est un grand cheval du Hanovre. La conduite n’est plus la même avec les rênes de brides.

 

Puis ce sont des combats à pied, les chevaux en arrière. On fait des trous individuels. Les Boches nous attaquent et c’est la guerre au ras du sol.

 

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Les environs de Cortemarck

 

Un nouvel épisode commence à CORSEMAUK, frontière belge (note H Lebrun : l’orthographe exacte est CORTEMARCK). On est canardé sur une voie ferrée. Les Allemands ruinent le village. J’ai une bonne vue. Le Lieutenant m’appelle : « Le Sphinx ». Je vois les Boches qui installent une mitrailleuse sur une fenêtre, à la première maison, et dans l’usine sur le côté. Une boule rouge ou verte s’allume de temps en temps. Chaque fois que nous avançons d’un bond, la lampe change de couleur. La nuit tombe. Le Capitaine d’EPINAY décide d’envoyer une patrouille dans l’usine pour vérifier les lampes. Mon Lieutenant dit : « j’y vais avec deux hommes : COLLIGNON et COURRIERE ». On part. Arrivés au pied de l’usine, il me dit : « Monte les escaliers, je te suis, et toi COURRIERE, reste en bas, le mousqueton en main ». Mon cœur toque. Je ne suis pas trop hardi. J’arrive au deuxième étage. Je vois un Boche dans l’encoignure d’une porte qui lève les bras et dit : « Kamerad 4 Kind ». J’ai la trouille. Je lui envoie deux balles. Il tombe devant moi. L’officier arrive de l’étage en dessous et me dit : « tu aurais dû le faire prisonnier ».

 

Le lendemain, on reçoit l’ordre d’attaquer le village. On attaque au petit jour, maison par maison. Les rares habitants sont tous dans les caves. Mais les Allemands mettent le feu au reste du village. La fumée vient sur nous. Il y a du grand vent. L’officier dit : « ils ont toutes les chances ». C’était à CORSEMAUK, frontière belge. Les femmes crient : « Vive les Français ».

 

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Rue de Cortemarck

 

Le soir, nous recevons l’ordre de replier. Les civils pleurent. Dans la nuit, on entend des hurlements de femmes et d’enfants. Le lendemain, les Boches, en renfort, nous attaquent. Mais, l’infanterie française prend nos positions. On remonte à cheval, et l’on va plus au Nord, jusqu’en avant d’YPRES.

 

Le long du canal, on fait des tranchées individuelles. Les Allemands, comme nous, arrivent de l’autre côté. Nous sommes en avant du village de PAPERINGUE. Nos chevaux sont restés près de la ville d’YPRES, en arrière. Mon trou, pour deux, est à côté de la maison du passeur (en temps de paix). Deux sacs de sable en avant avec un créneau pour voir et tirer nous protègent.

 

La nuit, le canon fait rage. Je suis avec FAVIER, un gars du Nord, de ma classe. Il n’est pas peureux.

 

Nous avons chacun deux boites de singe, une boule de pain et un bidon d’eau. On a donné à chacun d’entre nous un fusil LEBEL des territoriaux et un gros paquet de cartouches. Nos mousquetons ont été donnés aux territoriaux en deuxième ligne, en avant du village.

 

Le 21 au matin, après un bombardement nocturne, les Boches cherchent à passer le canal sur des radeaux. On les descend comme des lapins. Le canal a 25 mètres de large. La veille, ce sont des soldats belges qui sont passés sur des planches ou des tonneaux. Pauvre petite armée belge !

 

Le 22, au petit jour, FAVIER me dit : « Je crève de soif. Je vais chercher de l’eau au canal contre la maison ». Je lui dis : « Malheureux, tu vas te faire descendre ». Il y va mais tombe à deux mètres de la tranchée. Je reste seul dans mon trou, et les Boches essayent de passer de plus belle. Je tire sans cesse et mon fusil est bouillant. Je suis à genoux, la main droite sur la hanche, pour un peu de repos.

 

Tout à coup, je suis blessé au bras droit et à la hanche. Je tombe sur le côté gauche. J’ai la force de mettre ma main gauche sur le trou de la hanche. Le sang coule et je me dis que la balle n’est pas sortie. Je m’entoure le poignet avec mon mouchoir, et fatigué d’avance, je perds connaissance, sous le vacarme des obus.

 

La nuit tombée, le Commandant n’entendant plus tirer, et nous croyant morts, vient chercher nos livrets militaires. Il appelle deux cavaliers qui me chargent sur deux fusils et des branches en travers. Ils me portent à un poste de secours : chez les Anglais. Là, un Major me verse de la teinture d’iode dans le trou de la hanche. Je ressens une blessure qui me fait plus mal que lorsque j’ai été blessé. Il me fait un pansement au bras droit et me donne un quart de thé. Cela me fait du bien. Mais les obus tombent pas loin, en avant. On nous met sur un decauville et on nous éloigne. Je m’endors et me réveille couché dans un train sanitaire anglais à YPRES. Le train nous conduit à BOULOGNE sur MER avec des blessés anglais et allemands. Je suis à la deuxième couchette. J’ai un Boche au-dessus de moi, et en face un Anglais qui me fait des signes avec son couteau pour que (je suppose) je lui pique les fesses. Mais, je n’en ai pas la force. Je suis faible. J’ai dû perdre beaucoup de sang en tranchée.

 

 

           Novembre 1914 – été 1915 : hospitalisation, convalescence

 

Ensuite, on nous embarque sur un bateau pour l’Angleterre. Des femmes de la Croix Rouge française viennent nous demander s’il y a des blessés français. Nous sommes quatre Dragons. On nous conduit ainsi que des chasseurs alpins, dans un hôpital auxiliaire à la sortie de BOULOGNE. Je suis heureux de voir des femmes, d’officiers de cavalerie, nous soigner.

 

Mon infirmière, Madame DE BARCY, a son mari qui est capitaine de Dragons. Elle a un faible pour moi, et je suis bien dorloté. Ses deux petites filles, 6 et 8 ans, m’apportent, chaque jeudi et dimanche, des friandises. Toutes ces femmes sont bien dévouées.

 

Un camarade du 30° Dragon (Yvon) est dans ma chambre. Il mourra quatre jours après son arrivée, une balle dans les poumons. Un autre a été amputé jusqu’à la hanche, et un quatrième a la mâchoire et le nez emportés par une balle. C’est affreux. Je suis un privilégié avec mes deux blessures. Je passe sur le billard par deux fois pour m’extirper les esquilles d’os de deux métacarpes broyés. Les nuits, j’ai des poussées de fièvre et on me met dans des bains d’eau froide Mon voisin de lit m’appelle « le canard » car les débris de la capote font de la suppuration. Par contre, la jambe, quoique raide, ne me fait pas mal. Je docteur LAMIOT dit que c’est la teinture d’iode du médecin anglais qui a nettoyé et cicatrisé la plaie.

 

Je passe donc de Novembre à fin Mars à BOULOGNE. Le 1er Avril 1915, je suis envoyé à BERCKPLAGE pour faire de la mécanothérapie. Ce sont des massages par l’électricité pour me réadapter le bras qui est comme un morceau de bois, et la jambe raide. Le Major arrive, et voyant ma feuille (né à MERCY-LE-HAUT) il me dit : « J’ai été blessé à la mairie de ton patelin, le 22 Août 1914 ». Il me montre une cicatrice à la joue. Il a reçu une balle de revolver alors qu’un Allemand lui demandait ses papiers. Emmené à METZ sans connaissance, il a été bien soigné et vient de rentrer en France en échange de Major prisonnier.

 

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Le Docteur Mozer à Berckpalage

 

C’est le docteur CALOD qui était directeur de l’établissement où je me trouve (En temps de paix). Là, je passe trois mois, et je fais une jaunisse. On m’envoie à EVREUX dans l’EURE pour passer un mois dans une maison de repos. Sur la plage, un jour, je rencontre un ami de mon père, le cousin FERNIER, marié à MORFONTAINE. Il venait à la chasse à BOUDREZY et tenait un magasin à CHARLEVILLE. Il m’invite à aller dîner chaque jour chez lui. Ses deux fils sont aux armées. Je suis heureux.

 

On me donne 45 jours de convalescence que je vais passer à PARIS, chez le cousin MOUSTY de PREUTIN, 30 rue de Bondy – X° arrondissement. Un jour, me promenant sur les grands boulevards, un homme aux cheveux blancs voyant que je porte la croix de guerre deux étoiles et l’insigne des blessés, apprenant que je suis des pays envahis, me demande d’aller chez lui sur rendez-vous. C’est un des plus grands photographes de PARIS. Il me photographie et me fait prendre une tasse de café avec des petits gâteaux. Il me donne une bonne pièce et me demande de revenir huit jours plus tard pour chercher 12 photographies. Je suis à la vitrine de son magasin, en photo. Je crois que j’ai un bon ange gardien pour être comblé de la sorte.

 

 

           Eté 1915 à Novembre 1918 : Auxiliaire sur le front

 

Ma convalescence terminée, je me rends au dépôt du 30° Dragons à ANGERS. On m’apprend alors mes citations que j’ai aussi sur la terre belge, et une future décoration : la croix de guerre belge. Je ne reste que peu de temps au dépôt, car je passe une visite médicale et suis nommé au service auxiliaire pour blessures de guerre. Je m’ennuie de ne rien faire, bien que je retrouve Louis L’HUILLIER qui fait un stage de mitrailleur, et Gaston HENQUINET, Maréchal des Logis qui est chargé de l’instruction des jeunes recrues. Je demande à retourner dans une arme comme auxiliaire sur le front. Je pars dans la Somme, dans un dépôt de chevaux blessés, à BOUTTENCOURT. 300 à 1200 bêtes. Au bout de 8 jours, le Capitaine me fait appeler au bureau. Il me dit : « J’ai vu votre livret et vos états de services. Vous deviez passer brigadier le lendemain de vos blessures. Vous ne devez pas panser les chevaux. Le Brigadier secrétaire des vétérinaires est à l’hôpital. Vous le remplacerez ». J’en suis heureux. Chaque jour, je vois des opérations de mal de nuque et de garrot, la gale etc …

 

Un an après, le Capitaine m’informe que je vais faire le ravitaillement et le vaguemestre, car le sous-officier DELASURE est réformé. J’ai une voiture et un cocher à ma disposition. Je suis verni. J’achève cette guerre au 7ème régiment des chasseurs, 5° escadron. De temps en temps, je vois Pascal PECAVY, vétérinaire dans un dépôt de chevaux à AMIENS (30 km).

 

 

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Jean COLLIGNON

(Photo prise vers 1916 ou 1917. Il porte l'uniforme du 7ème Régiment de Chasseurs)

 

 

En 1917 et 1918, on nous donne des permissions de 10 jours chaque six mois. Je vais une fois à PARIS chez MOUSTY. Je me rends aussi à ARGENTEUIL pour dîner un dimanche chez Emilien DEVAUX, cousin germain à maman et frère de l’Abbé DEVAUX. Il est retraité des Ponts et Chaussées, âgé de 60 ans, très chauvin. Il a dans la salle à manger une carte du front de deux mètres. A chaque attaque qu’il lit dans les journaux (exemple : nos troupes ont attaqué et pris trois tranchées dans la Somme) il a une centaine de petits drapeaux qu’il avance au besoin. C’est beau la guerre en pantoufles !!!

 

Je suis très bien vu : blessé et décoré ! Mais Gaston HENQUINET qui est resté deux ans au dépôt, il ne peut pas le voir. Avoir ses parents envahis par les Boches et ne pas aller au front ! (c’est son neveu). Le pauvre homme oublie que les deux frères de Gaston sont morts.

 

Pendant une autre permission, je me rends à NICE, à l’hôtel des Anglais. Je visite MONACO. A NICE, je rencontre Norbert JACOB de MERCY-LE-HAUT, qui, prisonnier à LONGWY-HAUT le 26 Août 1914, rentre en France. Il est âgé de 48 ans.

 

Je vois la mer bleue : la Méditerranée.

 

René (Note H Lebrun : il s’agit de René Collignon, frère de Jean Collignon) est Capitaine au deuxième tirailleur sénégalais. Ses hommes, des Noirs, ont eu les pieds gelés dans les tranchées de la Somme. On les a mis au repos à FREJUS, dans le Var. Il me prévient et me demande d’aller le rejoindre si j’ai une permission en Février ou Mars. Il est Capitaine Adjudant Major et s’occupe du ravitaillement. Les Sénégalais sont de beaux soldats, jeunes et grands. Hélas, ils remontent au front dès fin Mars pour une grande attaque. Le régiment perd plus de la moitié de son effectif. René est blessé dans les reins par un éclat d’obus et fait neuf mois d’hôpital au Val de Grâce à PARIS. Son ordonnance, 18 ans, a été déchiqueté près de lui par un gros obus allemand.

 

On n’a toujours pas de nouvelles de nos parents. Vaguement, on dit mon père fusillé le 22 Août. Plus tard, j’apprends qu’il s’agit d’Aimé COLLIGNON et de son frère Jean Grégoire COLLIGNON de MERCY-LE-HAUT. (Note H Lebrun : en fait, c’est Jean Emile COLLIGNON, de MERCY-LE-HAUT, qui a été tué le 22 Août 1914 : voir chapitre « victimes civiles ». C’est un cousin éloigné de Jean COLLIGNON).

 

Le premier parent qui m’a retrouvé, c’est Lucien THIRION, Capitaine territorial qui a écrit au Colonel du 30° Dragon pour savoir ce que j’étais devenu. Finalement, il a pu savoir que j’avais été blessé à la bataille de l’YSER, déposé chez les Anglais et ensuite en chirurgie à BOULOGNE-SUR-MER. Une infirmière qui me soignait à BOULOGNE était la fille unique du Comte de SARS LE CONTE, ancien Capitaine de Cavalerie et propriétaire de la ferme de MARTINFONTAINE. Il connaissait mon père qui avait chassé avec lui à la ferme avant 1914. Ce qui prouve que le monde est petit et qu’il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas.

 

J’ai reçu, le 17 Mars 1915, une carte de Georges NOIRJEAN qui m’annonçait qu’il venait de passer Sergent le 12 Mars. Le malheureux a été tué le 17 Mars, jour où je recevais sa carte. (Note H Lebrun : voir le chapitre « Les soldats de Mercy-le-Haut morts au champ d’honneur »).

 

 

           Novembre 1918 : le retour à Boudrezy

 

Quelle joie, après l’armistice, quand je suis rentré en permission à BOUDREZY, en venant de VERDUN à pied avec Georges AUBRION et PAIRS de MURVILLE que j’avais rencontrés à la citadelle. Nous avions deux boules de pain, et chacun un bidon de deux litres de rouge au dos.

 

Arrivés à cinq heures du soir à MERCY-LE-HAUT, le père de Georges pleurait de joie. C’était le premier de ses trois fils qu’il revoyait.

 

Mon père se trouvait chez Léon DEHAN pour le ravitaillement de la Commune. Quelle joie de me revoir. Il avait vu René quatre jours avant et lui avait appris que j’avais été blessé, mais que j’étais rétabli. Gabriel LEBRUN arrivait une demi-heure plus tard en auto.

 

(Note H Lebrun : Léon DEHAN et Gustave COLLIGNON ont administré la commune pendant toute la durée de la guerre, remplaçant le maire, Gabriel LEBRUN), qui était mobilisé.)

 

Quelle joie pour les parents de nous retrouver en vie. Eux aussi avaient bien souffert, mais n’étaient, grâce à Dieu, qu’amaigris.

 

 

           Avril 1919 : la démobilisation

 

Puis je repars retrouver mon régiment. Avec Léon NOIRJEAN, Sergent d’infanterie, nous allons prendre le train à pied à FONTOY, car les trains ne fonctionnent plus dans la région envahie (Note H Lebrun : Fontoy, à 14 km de Mercy-le-Haut, se trouve en Moselle, donc en région annexée en 1871 et qui n’a pas connu les destructions de la guerre).

 

Je regagne mon régiment qui se trouve à BRIGNES aux BOIS, un pays de 2000 habitants entre SEDAN et CHARLEVILLE (pays également occupé par les Allemands pendant toute la guerre).

 

Je trouve à loger, avec la permission du capitaine, chez un habitant (un boucher) qui ne travaille plus depuis l’invasion. Ce sont de braves gens qui ont deux jeunes filles, 15 et 17 ans, mais avec des robes vieilles de quatre ans. Je fais le ravitaillement à CHARLEVILLE chaque jour. Un jour, la mère me demande de les emmener avec ses filles pour les habiller en ville. Le capitaine m’autorise verbalement, mais au retour, je suis arrêté sur la route par un officier supérieur. Notre colonel demande pourquoi je suis en compagnie de civils et me dit que je mérite quinze jours de prisons. Le capitaine arrange l’affaire, mais je n’ai plus « trimballé » de civils.

 

On attend la démobilisation. C’est l’inertie. On ne comprend pas qu’on nous laisse mobilisés, nous qui n’occupons pas en Allemagne. Cela dure jusqu’au début du mois d’Avril 1919.

 

Fin de citation

 

 

Jean Collignon est démobilisé et rentre à Boudrezy en avril 1919. Il aide son père à exploiter la ferme familiale. Les premiers temps après-guerre sont difficiles : la moitié des champs est en friche, beaucoup d’animaux ont été pris par les Allemands, le matériel agricole de 1914 n’a été sauvé qu’en partie, la main d’œuvre manque.

 

A force de travail, les champs sont remis en culture. Le gouvernement distribue des chevaux (dont des chevaux de hussard qui refusent d’être attelés !), du matériel, des semences. Progressivement, du nouveau matériel est acheté, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un syndicat agricole constitué à l’initiative de plusieurs agriculteurs de Joppécourt, Boudrezy, et Mercy-le-Haut.

 

En 1921, Jean Collignon se marie. Il prend diverses responsabilités locales, et notamment, en 1924, il est élu au conseil municipal de Mercy-le-Haut. Il est nommé adjoint au maire, et le restera jusqu’en 1947, date à laquelle il est nommé maire.

 

Jean Collignon décède en 1975 à l’âge de 82 ans.

 

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13/09/2014

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